13 juin 2025

Basket-ball NBA, Betclic Elite et Euroleague

Matthieu Marot, auteur de « Dans l’ombre du cercle » : « Je n’ai jamais connu un club de Limoges normal »

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Matthieu Marot, auteur de « Dans l’ombre du cercle » : « Je n’ai jamais connu un club de Limoges normal »

Matthieu Marot est un beat writer comme on dit en NBA. C’est-à-dire qu’il est considéré comme un expert dans un domaine et rédige régulièrement des articles pour sa publication. Le journaliste suit le Limoges CSP depuis une douzaine d’années pour le Populaire du Centre, à Beaublanc et en déplacement, et il a des connexions partout en ville. Il vient de sortir un livre unique, documenté, fouillé et passionnant – vraiment ! Matthieu Marot est un insider – un autre terme anglais – qui définit une personne ayant un accès privilégié à des informations internes à un club, et on peut faire le pari qu’il est le seul journaliste qui a pu collecter autant d’informations sur ce club sans nul autre pareil.

Car si Limoges est le club le plus titré du basket masculin français – Bourges est champion toutes catégories – avec un trophée d’Euroleague (« A jamais les premiers ! » comme on dit en Limousin, en attendant toujours un héritier), il est aussi réputé pour ses dérapages en tous genres, ses histoires rocambolesques et sulfureuses. On lui a collé depuis plusieurs années déjà le surnom de Dallas-sur-Vienne. Et c’est tout ceci que nous raconte Matthieu Marot dans son ouvrage en mettant à nue le « Clan Forte », Frédéric le mari décédé, sa femme Céline, sa fille Angiolina, son compagnon Guillaume… D’autres encore. Un univers vraiment impitoyable ! À la lecture du livre, vous en serez convaincu, c’est par une sorte de miracle – le nom du sauveur est Lionel Peluhet – que le Cercle Saint-Pierre a évité le crash et est toujours debout en Betclic Elite.

C’est en autoédition que Matthieu Marot – avec la complicité de sa compagne pour la promotion – publie ce livre qui est disponible dans les librairies de Limoges mais aussi via la librairie Page et plume et, croyez-nous, il mérite toute votre attention même si vous êtes de Gravelines, Nancy ou… Pau ! C’est un must – encore un terme anglais, décidément.

Matthieu Marot, auteur de « Dans l’ombre du cercle » : « Je n’ai jamais connu un club de Limoges normal »
Céline Forte et deux de ses filles avec l’ancien président de la FFBB, Jean-Pierre Siutat. © FIBA

Etes-vous un Limougeaud pur sucre ?
Je suis né en 1984 de père et de mère haut-viennois. Je suis allé à Beaublanc bien avant d’être journaliste. Comme tous les Limougeauds, je sais où j’étais le 15 avril 1993 (NDLR : le jour du sacre européen du CSP). J’étais jeune, mais j’ai quand même des souvenirs diffus des matches des belles années.

Depuis quand êtes-vous chargé du CSP au Populaire du Centre ?
La première année où j’ai été à 100% sur le CSP, c’est l’année du titre en 2013-2014 mais j’avais déjà commencé à couvrir le CSP depuis quelques années.

C’est un véritable sacerdoce d’être journaliste au Populaire du Centre et de couvrir le CSP ? Il n’y a pas que du ludique comme dans certains clubs où il n’y a quasiment que du sportif à traiter ?
C’est sûr ! C’est très complet et c’est ça qui est super. Ça dépasse clairement les frontières du parquet. Tu touches un peu à tout, à la comptabilité, au droit, à toutes les strates de la société. Il se passe toujours quelque chose et ça concerne tout le monde. Il n’y a pas un club en Betclic Elite où ça se passe comme ça.

A notre sens, il y a eu quelques « scandales » d’impact national dans l’histoire du basket français : la grève de certains joueurs de Berck lors d’une demi-finale de Coupe des Champions contre le Real Madrid en 1974, les investisseurs américains bidon à Pau, et deux à Limoges : le crash qui a amené la liquidation du club en 2000, et celui que vous racontez dans votre livre. Comment se fait-il que Limoges soit touché deux fois alors que la ville paraît si calme ? Pourquoi Limoges est-elle devenue Dallas-sur-Vienne ?
Déjà, je pense que c’est une fausse image de considérer que Limoges est très calme. C’est vrai qu’il y a une certaine société limougeaude qui aime cultiver la discrétion mais c’est une ville où est née la CGT, qui a des côtés un peu rebelles, avec des ouvriers de porcelaine, c’est une ville où il y a eu des mouvements contestataires. Ce n’est pas que la ville calme que l’on veut bien dépeindre. Après, il y a la passion. Le Limoges CSP, c’est la fierté des Limougeauds. C’est un peu la revanche sur justement cette fausse image que véhicule la ville dans l’esprit du grand public. Limoges n’est pas non plus le trou perdu que l’on décrit. Pour avoir fait pas mal de villes en France avec le CSP – je ne veux pas en citer -, il y en a bien moins sympas que Limoges. Quand le club a commencé à gagner des coupes d’Europe c’était un peu une revanche sur cette image de marque, le terme « limoger ». C’est devenu une fierté, tu te prends de passion, d’amour pour ce club et partout où tu as beaucoup de ferveur, tu as le revers de la médaille qui va avec comme à Marseille et Saint-Etienne au foot. Tu montes très très haut et tu descends très très bas. C’est souvent blanc ou noir, rarement gris. Tu passes d’un extrême à l’autre en peu de temps.

On peut remarquer que si Limoges n’enregistre pas le plus grand nombre de spectateurs, il a les supporters les plus actifs, passionnés, intransigeants, sur les réseaux sociaux ?
Je pense que s’il y a beaucoup de supporters limougeauds sur X, anciennement Twitter, c’est dû à l’usage qu’en faisait Fred Forte à l’époque. Il était très présent. Il faisait des devinettes pour les recrues, il parlait directement à ses joueurs là-dessus. Il était en contact direct avec les supporters. Là, ça s’est énormément calmé. Si on remonte à 2014-2015 et presque jusqu’à son décès en 2017, c’est là qu’il y a une vraie communauté très présente sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, il y a pas mal de clubs où les supporters se regroupent et vivent la même chose, mais il y a quand même moins de monde qu’à Limoges.

Ce qui a été marquant et vous en parlez dans votre livre, c’est le fait que le cercueil de Frédéric Forte a été exposé à Beaublanc et qu’une foule de gens lui a rendu hommage dont la ministre des sports, Laura Flessel ?
C’est fou quand on y pense… Je pense personnellement que c’est un peu too much. Tout le monde avait été sonné par la brutalité, la soudaineté, la date (NDLR : le décès est survenu un 31 décembre), tout a choqué. Il n’y avait plus grand-chose de rationnel à ce moment-là. 

Matthieu Marot, auteur de « Dans l’ombre du cercle » : « Je n’ai jamais connu un club de Limoges normal »
Lionel Peluhet avec le micro. © Limoges CSP

« Le Limoges CSP était devenu une coquille vide. Il n’y avait plus que quelques alternants, Angiolina et Guillaume Lanave, un comptable »

Ecrire ce livre a demandé un long travail d’investigation ? C’était un travail journalier pour Le Populaire ?
C’est un travail au fil de l’eau. C’est un peu le résumé de mes dix dernières années à couvrir le CSP. D’ailleurs, il a été écrit relativement vite. Le CSP a occupé un pourcentage énorme de mon temps. Durant les périodes de crise, c’était des coups de téléphone à pas d’heure. Je ne dis pas que je connais l’histoire par cœur mais je ne suis pas obligé de me casser la tête à fouiller les archives. C’est le quotidien.

Ce livre c’est un véritable tourbillon, de faits, de chiffres. Cela nécessite d’avoir des connaissances en gestion, en comptabilité, en finances ?
J’ai été aidé d’un expert-comptable, c’était rigoureux. Je n’ai pas commenté comme ça des chiffres que j’ai vu sur un bilan que je ne sais pas lire. Cette personne a fait un travail de dingue.

Dans votre livre, vous citez à propos de Céline Fore, une déclaration de Xavier Popelier, le président historique du CSP : « Elle s’est retrouvée à la tête d’un club sans avoir la totalité des compétences nécessaires pour le diriger. C’est son erreur. Elle s’est crue plus forte qu’elle ne l’est. Tout le monde n’a pas les capacités de diriger un grand club de basket. » N’est-ce pas un bon résumé de l’ère post Frédéric Forte ?
Oui, mais ce n’est pas propre à Limoges. Dans le basket, il y a des diplômes pour beaucoup de choses pour être coach, préparateur physique, kiné et tout ce qui touche à l’entreprise. La seule activité où il n’y a pas de diplôme, c’est dirigeant. N’importe qui peut être dirigeant. A toi de savoir si tu es capable de l’être et manifestement – c’est un fait -, elle n’était pas capable. Le CSP était un champ de ruines. Ce n’est pas un jugement, c’est un fait : elle n’avait pas les épaules, comme le dit Xavier Popelier, elle n’était pas capable. Si on peut lui en vouloir, c’est de ne pas avoir mesuré elle-même qu’elle n’était pas capable de. C’est comme si moi demain j’envoyais mon CV au New York Times pour couvrir le baseball. C’est valable pour tout, il faut savoir ce que l’on est capable de faire et ce que l’on n’est pas capable de faire. Elle a hérité d’un club et n’avait pas les compétences qui vont avec pour le diriger.

Quand Frédéric Forte est décédé, c’était pour le club une catastrophe car il était à la fois le propriétaire et le directeur exécutif. Il concentrait tous les pouvoirs et il n’avait évidemment pas préparé sa succession…
Dans tous les sports, ce n’est jamais bon lorsque quelqu’un gère de façon hégémonique et n’a pas le temps de préparer sa succession, ça ne peut que mal se passer. Il centralisait tout, il était au courant de tout, il gérait tout, et du jour au lendemain, les gens qui ont repris se sont retrouvés sans rien.

Vous parlez de l’influence d’Angiolina Forte et de son compagnon Guillaume Lanave et du fait que Céline Forte a également évincé du club toutes les voix dissonantes. Un népotisme qui a bien failli s’achever en politique de la terre brûlée ?
C’est un fait… Il y a un fait étrange : les anciens du CSP de différentes années, qui n’ont pas travaillé ensemble au club, qui organisent des repas ensemble, qui pour la plupart étaient compétents, ont été virés. Généralement, quand tu pars du Limoges CSP c’est rarement en bon terme, que tu sois joueur ou employé. Quand je parle de népotisme, il suffit de voir le nombre de départs ces dernières années. Quand on demandait au début à Céline Forte pourquoi il y avait autant de départs, elle répondait : « c’est la vie normale d’une entreprise ». Il n’y a pas une entreprise en France où ça se passe comme ça avec un turnover incessant. Le Limoges CSP était devenu une coquille vide. Il n’y avait plus que quelques alternants, Angiolina et Guillaume Lanave, un comptable. Quand on voit les turnovers dans l’administratif, ce n’est pas normal.

Il y a des faits lunaires comme lorsque vous racontez que Guillaume Lanave, le gendre de Céline Forte, directeur commercial et du marketing n’hésite pas à contacter directement d’anciens joueurs pour les encourager à investir dans le club. « Passé par le CSP lors de la saison 2019- 2020, le meneur américain Semaj Christon est démarché fin décembre 2023 dans un anglais approximatif par un message privé sur son compte Instagram. Guillaume Lanave se présente comme l’ami de Khaled et d’un certain « Pepito ». Le joueur enverra directement la capture d’écran à son agent et elle fera bientôt le tour de la ville. Incroyable ?! »
Il leur fallait des investisseurs, absolument pas des repreneurs ! J’ai eu envie d’employer régulièrement le mot « lunaire » dans le livre car c’est lui qui résume le mieux cette histoire.

La présidence de Lionel Peluhet apporte-t-elle enfin de la sérénité au club ?
Je ne suis pas devin, mais en tous les cas c’est une autre approche. Je ne sais pas si ça va marcher mais ce que l’on peut dire c’est que le CSP n’a jamais autant ressemblé à une entreprise que depuis les premiers mois de Lionel Peluhet. Il délègue même si on nous dit qu’il prend beaucoup de décisions. Il recrute autour de lui, il s’entoure, il cherche de la compétence, on sait qu’il n’a pas le temps d’être là à tous les matches. Il fait appel à un cabinet extérieur pour trouver le directeur exécutif. À l’époque de Frédéric Forte, ce n’était pas une entreprise comme les autres, avec un patron hégémonique qui centralise tout.

Dans dix ans, aurez-vous l’occasion de faire un livre sur le CSP avec la même trame ?
J’ai du mal à y croire. Lionel Peluhet, ça tranche radicalement avec ce qui se faisait avant. Maintenant, c’est dur d’imaginer un club normal à Limoges. Moi, je n’ai jamais connu un club de Limoges normal. Dans la dernière partie du livre, je parle du corbeau qui dénonce la gestion de Lionel Peluhet… Il n’y a rien de normal ! C’est quelqu’un de rationnel, il a déjà mis deux millions d’euros dans le club, mais pour lui le CSP ce n’est pas une danseuse.

Ne faut-il pas aussi que tout Limoges fasse son deuil des années 80-90 où il était le numéro 1, et que le pouvoir en Europe est désormais dans les capitales, donc en France, Paris, Lyon et Monaco pour d’autres raisons ?
Clairement. Mais il ne faut pas prendre les supporters pour des abrutis. Beaucoup ont compris ça. Tu peux avoir un juste milieu.